Fabrique de perspective en perspective



Si je devais me décrire, présenter le personnage de cette histoire, je dirais en premier lieu que je suis du genre des mecs bien. Je ne suis pas comme eux, je suis différent ; il sont différents de moi. Je partage avec eux quelques traits, essentiels pour comprendre l’histoire qui suit. Mais j’ai beaucoup de différences : j’aime beaucoup, moi, les courants d’airs glacé sur la chemise. J’aime bien les journées pluvieuse et courtes, en hiver. J’ai des impressions plus fortes peut-être, et un trait vraiment singulier, je crois : je suis honnête dans la passion.
Les femmes sont beaucoup moins « morales », comme l’on dit, que l’on ne croit ; que l’on essaie de s’en entre-persuader. Les mecs biens, comme moi, sont toujours à un pas de basculer dans le mauvais coté - le bon copain - dans leur esprit. C’est là le noeud du drame, si je puis dire. Tout se passe comme s’il fallait entretenir le mystère - quel mystère, peu importe. Il ne doit même pas être plausible, cohérent ; non, il doit se contenter d’être, de remplir ainsi sa fonction. Il faut attiser ce mystère dans le regard, que l’on croise.
C’est peut-être là que le mec bien diffère du type banal, qui raconte de belles choses, mais qui est un peu cynique, qui tient de beau discours, mais qui se découvre peu scrupuleux au moment de l’action, à l’instant existentiel. Son mystère, c’est peut-être cette incohérence même. Lorsque j’essaie de fabriquer des perspectives, d’être honnête et prévenant, quand j’essaie de faire au mieux, de faire comme il faut, lui non. Mais ce n’est pas de la méchanceté. Je ne suis pas meilleur, bien sûr, nous nous contentons d’être de nos façons, de nos manières propres. J’essaie de faire au mieux, il essaie, je ne sais pas. De coucher, d’abord. De séduire, d’être un type séduisant, de passer bien, de passer pour un gars formidable, qui sait ?
Nous ne sommes pas très éloignés, l’un de l’autre. J’ai la descente grave et le réveil douloureux. Lui a la descente euphorique et le réveil étourdi, étourdi de ce qu’il ne sait pas être empli d’une grande vacuité. Il pense que la vie est un chemin que l’on doit inventer, emprunter pour soi même, et qu’il importe avant tout de cheminer par ici, et là, d’avoir des choses à raconter pour les temps incertains, à venir, sans jamais perdre de vue le tracé et le but. Moi pas, je crois que l’on va nulle part, et que c’est la raison précise pour laquelle il nous faut nous perdre, partout, dans tous les regards scrutateurs et affectueux qui semblent y voir clair ; au travers desquels on croit voir clair.
Je crois que j’ai dit ici une chose importante : grave et douloureux, c’est ainsi que je suis à la conscience. Ce doit être d’avoir été frappé par la tragédie, je ne peux m’empêcher, bien que je considère que cela ne va nulle part et que ça n’a pas de raison précise, de nécessité, je ne peux m’empêcher de voir un sens dramatique à tous cela, une sorte de stylisation de l’action, des personnages, des lieux et dieu sait quoi, encore. Je me retrouve forcément, je peux m’efforcer à le reconnaître, dans une pièce de théâtre, je suis Antigone, ou peut-être Électre, ou Oreste, ou dieu sait quel labdacide. Je suis le choeur, je suis le prologue, et c’est pourquoi j’ai décidé de raconter cette histoire.

1 commentaire:

  1. Bel hommage a l'absurde petit théatre de l'existence (que l'on mène). Rien n'a de sens, de valeur intrasèque. On fait. Tragédie ou comédie ? Rions en coeur; étranglons nous de rire. C'est. Ah ah. Drôle !

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