Celui-là.

    Ils me prennent pour un fou. Je le vois quand je les regarde et que je vois leur air effaré alors que je suis à m'occuper, dans mes pensées. Ils me prennent pour un taré, un mec qui sait pas où il est, qui sait pas ce qu'il fait. Ils croient que je ne sais rien du tout et que je suis ailleurs, dans des nuages qui leurs semblent obscurs. Mais moi, je sais ce que je fais et je sais ce que je suis. Je sais que je rêve un peu, ouais, mais je sais surtout que je réalise mon rêve : le comble étant que mon rêve soit de rêver, simplement. Je ne tiens pas à faire autre chose, quelle joie à ne plus voir des gens effarés ? Au fond, j'y prends une plaisante ironie, j'aime que l'on me regarde avec le dédain de celui qui ne comprend pas et j'aime que l'on m'houspille, me disant d'avancer droit. Cela me donne l'occasion d'aller de travers.
    Quand je me promène dans la rue, je me dis que rien ne vaut la peine que j'avance trop vite. Je regarde les gens qui passent, devant moi. Ils se retournent parfois, étonnés que quelqu'un les regarde. Ils ne doivent pas avoir l'habitude que quelqu'un les voie. Je suis celui qui attend au milieu des rues, les bras ballants, et qui regarde passer les nuages, parmi les gens. Je suis celui qui, d'un regard circulaire jeté à son tour, éclate d'un grand rire inepte. Et quand je n'ai plus d'argent, je m'assied au milieu et je fais la manche. Cela me fait voir un autre point de vue, celui des gens d'en bas. Et leur regard qui était hautain devient vaniteux, de la vanité de la vie tranquille et bourgeoise, celle du petit nanti, qui, tranquillement, va faire ses courses le soir et n'expire qu'un sombre mépris à celui qu'il ne regarde pas et celui qui fait la manche devant le magasin. Celui là, c'est moi. Je ne leur demande rien, j'essaie de grappiller, quand ils sortent du magasin, un ou deux centimes. Mais je préfère chanter, des chansons qui les scandalisent tous, et j'insulte les passants. Il n'y a pas de raison, eux aussi se trouvent insultants ; ils n'ont simplement pas le courage de l'admettre et de le crier aussi haut que moi et que ma voix enrouée.
    Et j'ai mon chien qui aboie parfois, quand une tête ne lui revient pas ; il me dit la laideur du monde autour et il est bien doux avec moi. Quand c'est à la lune qu'il hurle, il me rappelle comme le monde est beau ; celui-là dans lequel je suis et dans lequel j'ai creusé mon trou. Il va, parfois, remuant la queue, vers une demoiselle qui lui semble jolie, mais il ne quitte pas souvent mes bras. Il est jeune encore et moi aussi. On est un peu frères, je pense, compagnons en tout cas. On a forcément besoin d'une fratrie, quand on est seul. Souvent, je laisse mon chien se promener et je pars aussi. Il y a un rocher, sur une large place, que j'aime bien. Alors que l'on est au sommet, personne ne nous voie. C'est l'infraction à l'attention mal placée de la population ; l'espace que personne ne connait, croyant connaître si parfaitement cette petite montagne, ce petit roc, posé au dessus de la grande place comme une boule cailleuse au milieu d'un immense jardinet japonais. Et moi, là-haut, je surplombe tout le monde et je vois les gens d'en haut.
    Je ne vois que le dessus de leurs petits crânes qui s'agitent, remplis de soucis, qui vont et viennent toute la journée, sur cette place toujours fuyante. Alors, j'éclate de mon rire candide et certains, ceux qui ne sont pas trop dans la fumées de leurs jours étranges, m'entendent. Ils se demandent d'où vient ce rire de beau diable, ce rire de liberté. Et baissent la tête à nouveau, repartent dans leur ignorance. J'insinue le monde dans les esprits, je suis celui que l'on veut pas voir, mais que l'on voit quand même. Celui qui déchaîne la pitié, engage les remords et la culpabilité. Je suis celui-là qui, perché sur un lampadaire, aurait semblé le fou du village, dans une autre époque, et semble le plus sain d'esprit dans ces temps sombres. On a jamais assez de lumière. Moi, je cache la lumière des lampadaires dans mon manteau pour l'emporter avec moi et la voler à la ville à qui je dois rien. Je m'enfuis, des feux follets dans le cœur, entre les ruelles sombres et je me trouve brillant de mes facéties.
    Je bois les bouteilles à moitiés vides que je trouve, ramasse parfois les morceau de pain qui traînent, les arrachant aux oiseaux, moineaux de malheurs, petits vautours de la ville à mon instar. Je les regarde sauter et, sautant avec eux dans mon esprit, trébuchant en réalité, nous faisons la course. Je gagne toujours : ils s'enfuient devant ma grandeur. Mes ailes sont mes jambes qui me portent si loin que vont les chemins intracés parmi les grands immeubles. Les toits n'ont plus de secrets pour moi, les caves sont mes refuges. Je suis oiseau de la ville, toujours près à s'envoler alors que l'on porte son regard dessus ; l'ombre citadine, évanescente et libre à chaque ténèbres.

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