Sujet. Discutez la question « Comment bien employer son temps après une heure du matin ? »

Occupation nocturne #1


J’ai commencé cette dissertation, un peu tard, comme à mon habitude. J’allais vous expliquer que j’avais lu l’ensemble de mon cours, qui était incomplet et dont j’ai récupéré ce qui me manquait, mais comme vous le constatez, je n’arrive même pas à exprimer clairement cette idée. J’ai l’impression que les mots que j’utilise m’échappent. J’ai la sensation de ce que je veux dire, j’ai le mot sur le bout de la langue, je visualise la nuance dont j’ai l’intuition, mais je perds mes mots.
Je perds mes mots et donc j’aspire à la clarté, à la tranquillité, à la littérature, histoire de ne pas tomber dans ce vide de sens total que sera ma vie lorsque je n’aurais plus de mot. Mais je suis déjà dans un vide de sens complet.
Vous me demandez de faire une dissertation sur la sociabilité et les groupes sociaux dans la France d’ancien régime. C’est bien ce que l’on demande habituellement aux étudiants pour leur faire passer des examens. Vous me demandez de porter un point de vue sur ce sujet. Mais je ne sais pas quoi vous dire. Vous n’insulterez pas mon intelligence, je le sais bien. Ce n’est pas que je n’ai pas d’avis sur la question, probablement en aurais-je un, si ça m’intéressait. Mais en fait, j’ai l’impression que vous m’invitez à cet exercice, que j’ai fait cent fois, de blabla. Je sais plutôt bien écrire, je suis habile pour ça, et je sais écrire ce que l’on me demande d’écrire. Mais j’ai fait cela trop souvent. Trop souvent je me suis lancé dans cet exercice ridicule de baratin, vous en avez lu des pages et des pages de mes copies vides, creuses, ou la formule et l’apparente complexité n’ont d’égales que l’ironie avec lesquels je les écris.
Ce désamour n’est pas vis à vis de vous, elle est vis à vis de l’institution à laquelle nous collaborons tous, entretenant ce mythe de l’université, lieu du savoir et de la joie sur terre. Mais vous savez bien que ça n’est pas le cas, vous qui avez passé votre année à rappeler à l’ordre des élèves comme le font vos collègues dans les collèges et les lycées. J’étais désolé de cette situation, pas tant pour moi que pour vous, parce que vous trouvez vous du sens à ce que vous faites, de toute évidence. J’ai eu envie, parfois, de hurler sur ceux là, mais je ne l’ai pas fait, d’abord pour vous. Pour ne pas saper votre autorité ou pour ne pas vous sembler, moi aussi, vous manquer de respect. Par résignation aussi. Rendez vous compte, à l’université, se retenir de saper l’autorité d’un enseignant pour l’intérêt intellectuel ? Mais c’est tout le contraire, je crois, l’université ! Le lieu où l’on ne devrait surtout pas se retenir de saper toutes les autorités pour le savoir...
Vous ne m’avez jamais expliqué pourquoi il était important de faire cela. Si vous l’avez fait, vous ne m’avez pas convaincu. Je n’ai pas le tempérament assez panurgique pour faire les choses qu’on me demande de faire juste parce que l’on me demande de les faire, et là, j’ai le sentiment d’exploser en vol. Croyez moi, lorsque cela arrive, la seule chose qui vient à l’esprit des gens à qui l’on en parle, ce sont les bêtises suivantes : « mais termine cette licence ! avec un diplôme, tu pourras obtenir des équivalences ! un peu de courage ! il ne reste qu’un mois, c’est la dernière ligne droite ! ». Et croyez bien que je me suis efforcé de le croire. Je l’ai cru, j’en ai fait, depuis  deux ans, au moins, ma principale motivation. Et plus encore par défaut que ça n’en a l’air : finir ce que je suis en train de faire parce que je veux en finir et que je n’ai rien d’autre à faire.
J’ai trop longtemps participé a cette mascarade, peut-être d’autre auraient eu plus d’épaules, mais là aussi on a raté mon éducation. Je suis fatigué. J’ai mal au dos, depuis ma première année à la fac. J’ai du mal à entretenir les relations que je souhaite, à faire ce qui m’inspire du plaisir, comme lire, et plus encore, j’ai du mal à faire des choses constructives. Ces années m’ont formidablement appauvri et m’ont refermées sur moi-même plus encore que je ne m’en rends compte, après tout ce temps. J’ai tourné en dérision ce qui me rendait perplexe, toute cette comédie à l’humour douteux. Et puis je n’ai plus trouvé ça drôle, alors j’ai fait autre chose. Puis je voyais bien que je ne pouvais pas ne faire qu’autre chose. Alors je me suis rendu compte que quand bien même, je le voudrais, je crois que je ne pourrai plus aujourd’hui m’épanouir en apprenant quelque chose. J’ai même perdu l’habitude d’apprendre, d’entreprendre, ce qui me donne franchement le sentiment que j’ai plus encore qu’au lycée perdu mon temps, ici.

Je vous joins, a tout hasard, cette dissertation : j’en avais fait le plan, esquissé le développement, j’avais achevé l’introduction. Vous verrez, c’était bon. Mais ça a calé : c’était la panne sèche. Une distance trop grande et trop absurde a parcourir en un temps trop court. J’ai pris la contre-allée.

Sociabilité et groupes sociaux

Introduction :

L’époque moderne est connue pour son histoire politique, pour ses grandes caractéristiques sociales et économiques, fondant une société particulière, entre la société féodale et la société industrielle, qui aurait porté une dynamique particulière jusqu’à nous, celle d’un lent processus d’individualisation et de civilisation des moeurs (N. Elias).
En effet, présente parmi les hypothèses des études des sociabilités de l’époque moderne, la dynamique historique d’Elias permet de ré-interroger certains concepts : qu’est-ce que la sociabilité, dans une société qui porte en son sein des normes de rapports sociaux traditionnelles et des formes de rapports entres individus marqués par le calcul rationnel ?
A cette question s’ajoute l’ambiguïté des distinctions suivantes, que l’on retrouve aussi classiquement lorsqu’il s’agit de sociabilité : sociabilité formelle ou informelle, comme si la sociabilité informelle n’était pas, bien souvent, une institution, habitée par des rituels, des normes et des représentations ? Comme si les sociabilités formelles des élites devenaient mécaniques, une sociabilité de machines huilées par des usages entendus (Barry Lyndon, Kubrik). L’ambiguïté de la distinction, elle ultra-classique, des groupes sociaux, distinction galvaudé par un imaginaire de « la société des trois ordres », première représentation que l’on acquiert, à l’école, lorsqu’il s’agit d’époque moderne. Galvaudée parce que cette distinction n’est pas toujours pertinente pour comprendre les logiques et dynamiques du lien social, de la sociabilité, alors qu’elle est toujours présente à l’esprit. Il convient peut-être donc de proposer d’autres critères pour former les groupes sociaux dont nous parlons : en partant de l’individu, par exemple, des groupes sociaux pertinents en forme de cercles concentriques, de réseaux, obéissant chacun à des critères spécifiques, à une sociabilité dont on peut écrire plus exactement les règles, dont on peut mesurer l’intensité. Des groupes sociaux ayant un sens pour les acteurs de la sociabilité : les relations entre tel petit noble de province et son voisinage, pouvons nous les réduire à cette stratification de la société, par ailleurs pertinente à d’autres échelles ?
Parce que la sociabilité est un concept qui se comprend bien mieux en parlant d’individus et d’expériences, recourir à la convivialité, à la socialité pour caractériser ce dont on parle est judicieux. Comprendre le ressenti des individus dans leurs sociabilités, qui est au fondement des interactions sociales (A. Fiske), comprendre les trajectoires et les logiques qui les expliquent, présidant à la formation de groupes autour de ces acteurs.

Quelles multiplicité de la sociabilité à l’époque moderne, quelles dynamiques pour les groupes sociaux ?

Nous nous interrogerons de cette façon sur les sociabilités en les distinguant selon leurs temporalités, selon la place qu’ils occupent dans la vie des acteurs, fonction de leurs fréquences, du caractère ordinaire, extraordinaire. Cette distinction, utile pour constater que l’analyse privilégiant la stratification sociales des pratiques n’est pas la seule, bien que notre  dernière partie interrogera les formes spécifiques de la sociabilité des élites, dont les caractéristiques sont aussi temporelles.


1/ Le lien social comme manifestation première de la sociabilité

Le lien social, conséquence de la proximité des individus, atteste d’une cohésion sociale lorsque cette proximité est vécue comme positive. Ainsi, la convivialité est une dimension cruciale de la socialisation.

a) La convivialité, moyen d’une sociabilité ludique.

    Selon la définition de Simmel de la sociabilité, l’enjeu premier de la sociabilité est le plaisir d’être ensemble. La société d’ancien régime est caractérisée par l’importance de la définition collective sur l’être particulier, ce qui revient à dire que l’ « être ensemble » est au fondement des individualités naissantes. On est, lorsque l’on est avec ses confrères aux travail, on est, lorsque l’on est dans une société de jeunesse. On est enfin, lorsque durant l’hiver, dans les villages, on est dans une veillée pour jouer les jeux de la sociabilité. La convivialité produit donc un sentiment d’appartenance, un sentiment affectif, de plaisir.
    Le jeu est une des dimensions fortes de la convivialité : on le retrouve lors de la veillée, avec le jeu subtil et normé de la séduction entre jeunes, qui signifient aux uns et aux autres leurs émois amoureux, rougissent, se moquent ou commentent, pour les plus jeunes qui n’ont pas encore l’âge. Ces comportements sont soumis à des règles, routinisés, qui s’apparentent à des rites d’interactions : la jeune fille fillant le coton n’a qu’à faire chuter sa bobine pour qu’un galant la lui rende, contre un baiser. Cette jeune fille n’a qu’à espérer avoir été assez claire dans ses exigences : subrepticement, par des jeux de regards, en alimentant des discutions, qui deviendront des rumeurs parvenant aux oreilles des jeunes hommes. Si ce n’était pas le cas, elle conserve malgré tout la possibilité de garder la face, tout en récupérant sa bobine, et de tenter sa chance plus tard avec un autre jeune homme.
    Le jeu n’est pas seulement celui des acteurs entre eux : il s’agit du jeu à proprement parler. Jeu de cartes, de dès, d’échecs, danses, farces, le jeu comme divertissement est un des aspects de la convivialité des relations sociales. Traversant les stratifications sociales, le jeu se retrouve dans tous les lieux de sociabilités. Au cabaret, on peut jouer de l’argent, danser, au café, on s’ingénie aux échecs, tandis que la société est le lieu du jeu littéraire, du rébus, des charades. Même l’échange épistolaire est le lieu du jeu, comme ceux entre Voltaire et l’empereur prussien Frédéric. Les énigmes sont parties des écrits, des comtes philosophiques (Satî ou la destinée, de Voltaire), et le théâtre, que l’on représente parfois au dans les sociétés, joue avec virtuosité des règles de la versification classique pour plaire aux spectateurs. En 1672 sont publiées Les récréations galantes de Charles Sorel, un recueil d’idée de jeux pour toutes bonnes sociétés désireuse de s’amuser.

    Si la convivialité et le jeu semble par définition imposer une égalité entre les acteurs, les rapports sociaux sont cependant construits autour de logiques plus inégalitaires.

b) Les rapports d’autorité et les rapports de marché.

    La fiction d’égalité peut voler à tout moment en éclat : la convivialité des rapports peut cacher certaines dimensions, que l’on ne sent poindre que lorsque les rires ou les sourires se crispent. Si le jeu, dans les cabarets, par exemple, doit comporter des règles communes à tous les joueurs, il se peut qu’à un moment donné l’un des joueurs en décide autrement, faisant voler en éclat l’apparente égalité. On peut même accepter de jouer à un jeu dont les règles ne sont pas les mêmes pour tous, acceptant ainsi le rapport d’autorité. La chasse à courre est ainsi une mise en scène d’égalité : les plaisants, invités par le seigneurs, sont servis lors du banquet où, dans la tradition de ces banquets dionysiaques, les excès sont partagés égalitairement. Cependant, c’est au seigneur réunissant cette compagnie, que revient



2/ Sociabilités quotidiennes, sociabilités de l’évènement. Théâtres ritualisés de sociabilités spontanées.

a) La convivialité, moyen d’une sociabilité ludique.

    Selon la définition de Simmel de la sociabilité, l’enjeu premier de la sociabilité est le plaisir d’être ensemble. La société d’ancien régime est caractérisée par l’importance de la définition collective sur l’être particulier, ce qui revient à dire que l’ « être ensemble » est au fondement des individualités naissantes. On est, lorsque l’on est avec ses confrères aux travail, on est, lorsque l’on est dans une société de jeunesse. On est enfin, lorsque durant l’hiver, dans les villages, on est dans une veillée pour jouer les jeux de la sociabilité.
    Le jeu est une des dimensions fortes de la convivialité : on le retrouve donc lors de la veillée, avec le jeu subtil et normé de la séduction entre jeunes, qui signifie aux uns et aux autres leurs émois amoureux, rougissent, se moquent ou commentent, pour les plus jeunes qui n’ont pas encore l’âge.

b) Des pratiques ritualisées, aux fonctions diverses


II/



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