« Je ne parlerai pas, je ne penserai rien »

Le réveil sonne, je remue, je peine à ouvrir les yeux sans les refermer - le jour est clair. Je dois bien les ouvrir ne pas attendre le second réveil parce que je dois partir dans quarante minutes pour l'université. Et puis je n'avais pas mis de second réveil.
Je n'ai plus d'argent mais c'est la fin du mois. Reste des oeufs à frire, une gaufre à moitiée mangée l'avant-veille. Je ne buvais pas les deux tiers de ma cafetière, je sais, dommage.
Dans le métro, je suis absent, je ne sais plus ce que j'y ai fait, là, précisément. D'habitude - oh si, je me souviens des fesses d'une très jolie femme, en allant vers la bouche, tenant nonchalament son parapluie sur sa droite tandis que la pluie batante humecte sa belle chevelure par le coté gauche. Oui il y avait de la pluie battante ce matin et je la sentais frapper mon visage comme l'avant veille au soir sauf que l'avant veille au soir tandis que j'attendais improbablement sur la voie d'un mac drive désert de quoi me sustenter, la pluie était bien visible dans une sphère autour d'un lampadaire. Je peux dire que mes yeux, quoiqu'humidifiés par la pluie qui les frappaient de face, voyaient là ce qu'aucun objectif ni aucune caméra ne pouvait voir sans que la focale n'en soit franchement perturbée. Ou alors en longue focale à l'abris d'un parapluie. - peu importe l'habitude.
La femme s'est retournée quand son parapluie a heurté mon genou dans l'escalator. Elle était bien plus agée que je n'aurais cru, au vu de ses courbes sûres. Mais elle en avait davantage de charme.
J'étais à ce moment, qui sait, très malheureux de la nouvelle selon laquelle Léone était mariée. La veille au travail j'avais lu plusieurs albums pour enfants et je m'imaginais déjà faire la lecture a sa petite - j'avais le temps, elle avait neuf mois.

« Il était plusieurs fois une forêt. »

D'ici à ce qu'elle arrête de réclamer des histoires, j'avais peut-être le temps de faire divorcer Léone, mais il me semblait que je devais avoir d'autres choses à faire.
Le monde compte beaucoup de femmes et beaucoup d'entre elles me plaisent. Je tressaille, ou trésaute, ou défaille - je suis particulièrement sensible aux moments équivoques ou elles me font de ce rentre-dedans, me regardent de leurs yeux langoureux. Je sais que tout cela est un jeu et je devrais le prendre comme tel, parcequ'autrement, elles se lassent. Les femmes de trente ans ont rarement gardé une sensibilité qui en font des joueuses de long court, de vrais joueuses. Elles semblent vouloir couper court à la partie, je crois. Si bien qu'il faut agir ou rester à un niveau important de pathétique quand on comprend comme on a perdu sa chance.
Je pensais que la bière était néfaste à mon écriture, pas tant concernant son style que sa lisibilité, mais il semble qu'écrivant à l'encre, elle pose des problèmes suplémentaires lorsqu'elle tombe en goute sur mon papier si fin et touche plusieurs épaisseur. Alors elle emporte l'encre. Mais qui lira le papier ?
J'écris selon l'idée, enfin c'est avec celle là que j'ai commencé, de Merleau-Ponty selon laquelle on pourrait tout à fait renverser l'intelligibilité de la représentation de la perception. Que les objets ne soient plus le boulevard et les arbres, mais le vide entre eux lorsque ces derniers deviennent le fond. Il me semble que j'essaie de faire ça à la manière du cube en perspective dont on ne sait s'il se développe devant ou derrière.
Une même perception et plusieurs perspectives.

« Il était une fois une forêt. Dans cette forêt vivaient des arbres. Dans un arbre vivait un oiseau coiffé d'une couronne. Il vivait dans l'arbre et commandait à l'arbre. Mais après avoir fait plusieurs fois le tour de l'arbre ... »

C'est assez étrange, de cette idée que je visualisait assez bien avec cet exemple que j'avais trouvé avec le cube, j'ai curieusement commencé à écrire dans une piètre prose spontanée. Je revois ma journée dans le désordre en passant d'une chose à une autre sans moyen de trouver de fil conducteur puisque les mots alignés, nés à la suite les uns des autres, en comportent naturellement plusieurs. Est-ce pour autant un procédé ayant grand chose avoir avec l'idée de départ ? Aucune idée. Le procédé m'interdit de réfléchir pour l'heure.
Ou plutôt la bière. Il m'est arrivé souvent, après avoir fumé du cannabis, de pouvoir partir dans quelque chose de plutôt, d'assez, voire d'étonnement cohérent - sur la musique, une fois, je me souviens. Et à la manière de la prose spontanée, les idées s'alignaient les unes aux autres tant et si bien que j'avais du mal à les clores, si bien que pour apporter la cohérence d'ensemble au développement, je devais rester très concentré. Je devais faire attention à ne pas définitivement digresser, ce qui n'aurait pas été un problème en soi, mais qui m'aurait fait perdre l'idée que j'avais commencé seulement à développer. Alors quand elle m'échappait, j'arretais et je faisais le point.

« Un jour, l'oiseau ôta sa couronne et fut rendu à sa liberté. Il était une fois, dans une autre forêt habitant d'autres arbres, d'autres oiseaux qui portaient des chapeaux. »

Comment ? Aurais-je retrouvé un cafard généreux dans mon cendrier ? La cendre couvre les braises, dit-on. Ca n'était pas un cafard, je crois mais cela convient : je n'ai plus de cigarettes, je n'ai plus d'argent.
Aller, de tête, essayons de mieux nous souvenir du beau poême en rimes que j'essayais de citer, tout à l'heure. Rimbaud. Pour la petite fille.

« Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picotés par les blés, fouler l'herbe menue. »

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